SUJET BEP FRANÇAIS Tertiaire 2002 REIMS

 

Le Gâteau

 

Je voyageais. Le paysage au milieu duquel j'étais placé était d'une grandeur et d'une noblesse irrésistibles. Il en passa sans doute en ce moment quelque chose dans mon âme. Mes pensées voltigeaient avec une légèreté égale à celle de l'atmosphère. [...] Je tirai de ma poche un gros morceau de pain, une tasse de cuir et un flacon d'un certain élixir (1) que les pharmaciens vendaient dans ce temps-là aux touristes pour le mêler à l'occasion avec de l'eau de neige.

Je découpais tranquillement mon pain, quand un bruit très léger me fit lever les yeux. Devant moi se tenait un petit être déguenillé (2), noir, ébouriffé, dont les yeux creux, farouches (3) et comme suppliants, dévoraient le morceau de pain. Et je l'entendis soupirer, d'une voix basse et rauque, le mot: gâteau ! Je ne pus m'empêcher de rire en entendant l'appellation dont il voulait bien honorer mon pain presque blanc, et j'en coupais pour lui une belle tranche que je lui offris. Lentement il se rapprocha, ne quittant pas des yeux l'objet de sa convoitise; puis, happant le morceau avec sa main, se recula vivement, comme s'il eût craint que mon offre ne fût pas sincère ou que je m'en repentisse déjà.

Mais au même instant il fut culbuté par un autre petit sauvage, sorti je ne sais d'où, et si parfaitement semblable au premier qu'on n'aurait pu le prendre pour son frère jumeau. Ensemble ils roulèrent sur le sol, se disputant la précieuse proie, aucun n'en voulant sans doute sacrifier la moitié pour son frère. Le premier, exaspéré, empoigna le second par les cheveux ; celui-ci lui saisit l'oreille avec les dents, et en cracha un petit morceau sanglant avec un superbe juron patois (4). Le légitime propriétaire du gâteau essaya d'enfoncer ses petites griffes dans les yeux de l'usurpateur (5) ; à son tour celui-ci appliqua toutes ses forces à étrangler son adversaire d'une main, pendant que de l'autre, il tâchait de glisser dans sa poche le prix du combat. Mais, ravivé par le désespoir, le vaincu se redressa et fit rouler le vainqueur par terre d'un coup de tête dans l'estomac. A quoi bon décrire une lutte hideuse qui dura en vérité plus longtemps que leurs forces enfantines ne semblaient le promettre ?

Le gâteau voyageait de main en main et changeait de poche à chaque instant; mais, hélas il changeait aussi de volume ; et lorsque enfin, exténués, haletants, sanglants, ils s'arrêtèrent par impossibilité de continuer, il n'y avait plus, à vrai dire, aucun sujet de bataille; le morceau de pain avait disparu, et il était éparpillé en miettes semblables aux grains de sable auxquels il était mêlé. Ce spectacle m'avait embrumé le paysage, et la joie calme où s'ébaudissait (6) mon âme avant d'avoir vu ces petits hommes avait totalement disparu ; j'en restai triste assez longtemps, me répétant sans cesse : a Il y a donc un pays superbe où le pain s'appelle gâteau, friandise si rare qu'elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide (7) ! ».

 

Charles BAUDELAIRE, "Le gâteau" (1862), Petits poèmes en prose

 

(1) élixir : préparation médicamenteuse d'alcool et de sirop.

(2) déguenillé : vêtu de guenilles, de vêtements en lambeaux.

(3) farouche : sauvage.

(4) patois : parler, dialecte local.

(5) usurpateur : celui qui s'approprie un bien par la violence.

(6) s'ébaudir : se réjouir.

(7) fratricide : qui conduit des frères â s'entretuer.

 


 

QUESTIONS

 

Toutes les réponses doivent être rédigées

 

COMPÉTENCES DE LECTURE - 10 points

 

1. a) Comparez l'état d'esprit du narrateur au début et à la fin du récit. Justifiez votre réponse en vous appuyant sur deux éléments choisis dans chacun de ces passages. (2 points)

   b) Entre ces deux moments, à quelle réalité le narrateur a-t-il été confronté ? Relevez dans le 2ème paragraphe deux expressions qui évoquent cette réalité. (2 points)

 

2. Pourquoi l'enfant voit-il dans le morceau de pain du narrateur « un gâteau » ? Pourquoi le narrateur le désigne-t-il au troisième paragraphe comme « une précieuse proie » ? (2 points)

 

3. En vous appuyant sur un champ lexical, que vous nommerez, qualifiez le comportement des deux enfants. (2 points)

4. Relisez le dernier paragraphe. Qu'est-ce qui dans la dernière phrase explique la tristesse du narrateur ? (2 points)

 

COMPÉTENCES D'ÉCRITURE - 10 points

 

L'association Pain et Partage a pour mission de donner aux populations démunies les moyens de fabriquer leur pain par l'installation de matériels de fabrication et par la formation de personnel. (Site Internet : http://perso.wanadoo.fr/painetpartage).

Vous êtes membre de cette association et vous devez rédiger un article qui paraîtra dans le journal de votre région.

Votre article présentera tout d'abord les objectifs de l'association, puis il tentera de convaincre les lecteurs de participer à cette action humanitaire.

 

(Votre article comportera au moins 25 lignes).

(La qualité de l'orthographe, de la syntaxe et de la grammaire sera prise en compte dans la limite de 3 points).