CAP-BEP-2001-INDUSTRIEL-FRANÇAIS-GRP3


TEXTE

Un homme traqué arrive à Lyon, ville privée de lumières à cause de la guerre (1939-45).

 

Une ville déserte, noire, silencieuse, où couraient des ruisseaux débordés, où claquait parfois un volet. Mes pas résonnaient entre d'invisibles façades. Je me traînais, comme un insecte dans une plaine jonchée de pierres. Je butai dans un trottoir et trouvai, à ma droite, un mur. Il n'y avait plus qu'à cheminer, patiemment, tant que mes jambes me porteraient, tant que le mur me guiderait. Ce mur était troué de vides au fond desquels se cachaient des portes closes; ma main effleurait des fenêtres aux volets joints, ou bien des rideaux de fer ; mes doigts s'échauffaient en glissant sur le ciment gras, palpaient de loin en loin la pâte délavée d'une aiche. Puis le mur s'arrêtait.

J'avançais avec méfiance, le mollet raide, cherchant le bord du trottoir. Je traversais le carrefour, et, de l'autre côté, paumes en avant, j'allais lentement à la rencontre des maisons. L'eau des ruisseaux submergeait mes souliers, au passage. Les toits lâchaient sur mes épaules d'énormes gouttes qui claquaient sur l'étoffe gorgée puis poussaient jusqu'à ma peau une humidité glacée. Mais j'avais dépassé depuis longtemps le point d'anxiété où l'on commence à craindre pour sa santé ou pour sa vie. Je m'enfonçais dans ma détresse avec une sorte d'émerveillement incrédule. Des cloches sonnèrent une- demie. La demie de quelle heure ? J'allais devenir, dans quelques instants, un gibier désigné aux pistolets des patrouilles. La rue s'allongeait, s'allongeait... Je cessai de sentir le mur sous mes doigts brûlants. Je fis quelques pas circonspects (1) , marchai sur du lisse. Tâtant le sol, je découvris un rail de tramway et un peu de chaleur me remonta au cœur. Il me sembla que j'étais moins seul et moins perdu. Ce fil d'acier allait me conduire vers le cœur de la ville. Je le suivis et me sentis bientôt au centre d'un immense espace où le vent courait librement, sans feintes, sans remous, de tout l'élan puisé sur les plaines. Je tendis l'oreille : une rumeur vague, comme le bruit du flux capté au creux d'un coquillage, bourdonnait autour de moi. Et cette odeur ? L'odeur de l'eau vivante, qui dévale et se frotte à ses rives, une odeur crue de poisson et d'herbage.

J'étais au-dessus du Rhône. Allais-je réussir ?

 

BOILEAU-NARCEJAC, "Les louves" 1955 Collection Bouquins, Robert Laffont. Volume 1 , 1988

(1) prudents

 


QUESTIONS

(toutes les réponses doivent être rédigées)

 

COMPETENCES DE LECTURE: ( 10 points)

1)

a) Quelle place le narrateur occupe-t-il dans l'histoire ? Justifiez votre réponse (1 point)

b) Quelle phrase du texte montre que le personnage est "traqué" ? (1 point)

2) Les sens du personnage sont en éveil. Vous citerez les sens évoqués dans ce texte et vous relèverez, pour chacun, un indice qui justifie votre réponse. (2 points)

3) "Ce fil d'acier" ligne 20 et "comme le bruit du flux" ligne 23 sont deux images.

a) Comment appelle-t-on chacune d'entre elles ? (1 point)

b) Que représentent-elles dans le texte ? Deux réponses sont attendues. (1 point)

c) Qu'ajoutent-elles au récit ? (1 point)

4) Montrez l'évolution des sentiments du personnage tout au long du texte.

La réponse doit être rédigée et justifiée. (3 points)

 

COMPÉTENCES D'ECRITURE : (10 points)

 

Imaginez une suite et un dénouement à cet extrait de roman policier.

Votre texte à la fois narratif et descriptif comportera une trentaine de lignes.

(La qualité de l'orthographe, de la syntaxe et de la grammaire sera prise en compte dans la

limite de 3 points).