BAC PRO 2001 FRANCAIS


Pendant la deuxième guerre mondiale, lors de la bataille du Pacifique, un navire de guerre américain est attaqué par

l'ennemi. Il échoue sur une île inconnue ; l'équipage survivant est accueilli par les habitants de cette île dont la

civilisation est restée très proche de l'état de nature. Les rescapés, pour ne pas s'ennuyer, apprennent à leurs hôtes

à jouer au football. Quelque temps après, un porte-avions américain revient chercher les survivants qui retournent

se battre jusqu'à la fin de la guerre. Parmi eux, certains décident de retourner sur cette île où ils avaient connu le

bonheur. Après la joie des retrouvailles, ils sont invités à assister à un match de football.

 

La rencontre oppose l'équipe de l'Est à celle de l'Ouest, deux villes de l'île. Superbe, dramatique,

élégante, elle s'achève sur le résultat de trois buts à un, au bout de quatre-vingt-dix minutes. Les

matelots se lèvent alors pour quitter le spectacle et rentrer dormir. C'était le soir. Mais non, mais non,

clame la foule, qui les fait rasseoir, ce n'est pas fini.

La partie reprend de plus belle et, sous des torches vives, se prolonge la nuit. Le temps passe et les

anciens matelots ne comprennent plus : exténués, hors de souffle, les joueurs tombent les uns après

les autres, jambes dévorées de crampes. Mais, têtue, la rencontre continue. Chaque équipe marque

et, vers les petites heures de l'aube, on en est à huit à sept. Cela devient ennuyeux.

Tout à coup, la population se lève, agite bras et mains, hurle sa joie, tout prend fin : le but de

l'égalisation vient d'être tiré à bout portant par un avant qu'on porte en triomphe autour du terrain.

Chacun crie: huit à huit, huit à huit, huit à huit ! Ensommeillés, abasourdis, incapables de saisir

clairement l'événement, les matelots regagnent en hâte leurs cases pour se coucher.

Quelques heures après, les palabres vont leur train. Stratégie, tournois, résultats, on reprend les

conversations d'autrefois. Et peu à peu la vérité se fait jour.

Les naturels[i] jouaient au même jeu que naguère, avec des équipes comprenant le même nombre

d'hommes sur des terrains de même forme, mais ils avaient changé une règle, une seule petite règle.

- Une partie s'achève quand une équipe gagne et que l'autre perd, et seulement dans ce cas-là !

disent les marins. Il faut un vainqueur et un vaincu.

- Non, non, prétendent les insulaires[ii].

- Comment départager alors vos équipes ? demandent les matelots.

- Que signifie ce mot dans votre dialecte ?

- Une différence de but.

- Nous ne comprenons pas vos idées. Quand vous découpez une galette selon le nombre de ceux qui

sont assis autour du four, ne la partagez-vous pas ?...

- Certes.

- ... et chacun en mange une partie, n'est-ce pas ?

- Sûrement.

- Cette galette, avez-vous jamais l'idée de la départager ?

- Cela ne voudrait rien dire, protestent les marins à leur tour, bâbordais résolument ou tribordais[iii]

de toujours.

- Mais si, comme au football. Quelqu'un la mangera tout entière et les autres ne mangeront rien, si

vous la départagez.

Les visages pâles, interloqués, se taisent.

- Pourquoi les équipes se départageraient-elles ?

- Nous ne comprenons pas cela qui n'est ni juste ni humain, puisque l'une l'emporte sur l'autre. Alors

nous jouons le temps du jeu que vous nous avez appris. Si à la fin le résultat se trouve nul, la partie

s'achève sur le vrai partage.

- Sinon les deux équipes, comme vous le dites, sont départagées, chose injuste et barbare. À quoi

bon humilier des vaincus si l'on veut passer, comme vous, pour civilisé ?

[…]

Dans les vents qui les ramenaient vers leur ville et leur famille, parmi le balancement régulier des

hamacs, en équilibre doux dans le berceau de la houle, les matelots songeaient à cette terre singulière,

île nulle ou tierce[iv], absente des cartes marines. Ils palabraient, couchés, les mains sous la nuque

- Dis, la dernière guerre, nous l'avons gagnée, n'est-ce pas ?

- Certes.

- À Hiroshima ?

- Gagnée, vraiment ?

 

Michel SERRES, Le Tiers-Instruit, 1991.

 

[i] Les naturels : les habitants de l'île.

[ii] Les insulaires : les habitants de l'île.

[iii] Bâbordais : homme d'équipage travaillant sur la partie gauche du navire. tribordais : homme d'équipage

travaillant sur la partie droite du navire. L'expression signifie que les marins sont attachés à l'ordre des choses; ils

n'apprécient pas ce qui remet en cause leurs habitudes.

[iv] tierce : inconnue


I - COMPÉTENCES DE LECTURE (12 points)

 

1 - Le dialogue (de : - Une partie s'achève quand … à … si l'on veut passer, comme vous, pour

civilisé ?) voit l'affrontement de deux thèses : quelles sont-elles ?

Quels sont les deux mots qui résument l'attitude de chacun des deux camps ?

Quels sont les arguments de l'un et l'autre camp ? (4 points)

 

2 - Que traduisent les silences des matelots dans ce même passage ? (3 points)

 

3 - Comment interprétez-vous la dernière partie du texte (de Dans les vents qui les ramenaient… à

la fin) ?

Quel rapport établissez­ vous entre cette dernière partie et le récit du match de football ? (5 points)

 

 

II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (8 points)

 

Dans le cadre d'une activité au sein d'un atelier théâtre, vous écrivez un texte argumentatif, d'une

quarantaine de lignes, mettant en scène deux personnages dialoguant à propos d'un sport collectif

(handball, basket-ball, football, etc.). Un des interlocuteurs défendra le point de vue du sport comme

activité de partage et de respect d'autrui. L'autre répliquera, en faisant apparaître que le sport

aujourd'hui peut être, au contraire, facteur de division, d'égoïsme, de tricherie.