Adossé aux Stèles de Segalen

Lecture d’un recueil poétique - Bac Pro

 

" J’ai toujours considéré que les seuls écrits valables

étaient ceux qui pouvaient être inscrits dans la pierre. "

F. Ponge


Nous nous proposons dans les pages qui vont suivre de montrer comment à partir de certains traits particuliers de l’écriture de Segalen, nous pouvons construire la lecture d’un de ses recueils poétique, Stèles (1).

La lecture de l’œuvre peut être accompagnée d’un questionnaire qui servira de point de départ à l’étude des parcours choisis.

1) Décrivez la composition du recueil (explication du titre, différentes parties qui composent le recueil, équilibre ou non de ces parties, unité thématique ou non, particularité des titres, forme poétique utilisée).

2) Observez les "Je " dans les poèmes, quels sont les personnages qui se cachent sous se " Je " ?

3) Recherchez et classez (par champ lexicaux ou catégories grammaticales) le lexique propre au monde chinois. Pour simplifier cette question on répartira les élèves en six groupes, chacun faisant la recherche sur une seule des parties du recueil.

4) Expliquez en quelques lignes l’originalité de Stèles.

5) La " visée " de ce recueil est-elle de décrire la Chine et la vie des Chinois ? Justifiez.

6) Citez les poèmes que vous avez préféré.

 

Déroulement de la séquence

Problématique : Quels sont les éléments qui constituent la singularité de Stèles ? En quoi cette œuvre échappe-t-elle aux écueils de la littérature " colonialiste " ?

Pré-requis :

- lire Stèles

- répondre au questionnaire

- maîtriser les connaissances suivantes : champ lexical, champ sémantique, situation d’énonciation, poème en vers /poème en prose, vers / verset, métaphore

On donnera aux élèves une chronologie de la Chine du XIXè aux années 1930, ainsi que les cartes (2) qui retracent les itinéraires des voyages en Chine de Segalen.

Nous ne développons ici que la première séance et nous proposerons des pistes succinctes pour les séances suivantes.

 

Séance 1 : Macro et micro organisation : la composition du recueil.

La pratique du recueil poétique étant peu fréquente pour nos élèves il paraît nécessaire de leur montrer qu’une œuvre poétique ne se réduit pas à la succession de poèmes placé au hasard, les uns à la suite des autres. Tout comme un roman ou une pièce de théâtre, les recueils poétiques ont un ordre, une logique, une dynamique qui obéissent à une " stratégie " souhaitée par le poète.

Cette première séance étant longue, on peut se proposer de répartir les élèves en trois groupes.

  1.  
  2. Expliquez les sens du mot " stèle ". Pourquoi le titre est-il au pluriel ? Pourquoi n’y-a-t-il pas d’article ? Quel lien pouvez-vous établir entre le titres du recueil et les poèmes ?

     

  3. Identifiez les idées principales de la préface. En quoi sa présence est-elle justifiée ?

     

  4. Pourquoi Segalen dédicace-t-il son recueil à Paul Claudel ?
  • On donnera aux élèves une brève biographie des deux poètes, ainsi que les articles qui leur sont consacrés dans L’Encyclopédie Universalis.

     

    Quelques pistes de réponses :

  • Dans le Littré on peut lire la définition suivante :

    " STÈLE s. f.

     Terme d'architecture. Monument monolithe ayant la forme d'un fût de colonne, d'un cippe, d'un obélisque.

  •     Espèce de colonne brisée ou de cippe, destinée à porter une inscription.
  • Étymologie : Du grec, colonne, du grec, être debout, lat. stare"

    La définition du Grand Robert, ne diffère guère de celle de Littré.

    Le pluriel de Stèles permet d’établir dès l’abord du livre un parallélisme entre le titre du recueil et les poèmes. Pour le lecteur il semble indéniable que chaque poème apparaisse comme une stèle.

    L’élision de l’article n’est pas sans évoquer la même élision dans le recueil Alcools d’Apollinaire qui paraîtra un an plus tard que Stèles. En omettant l’article, Segalen donne à ces stèles une valeur emblématique, voire générique, elles deviennent une sorte de nouvel art poétique comme Odes ou Élégies. Il est intéressant de remarquer que cette absence d’article se retrouve dans plusieurs poèmes de Stèles, cette élision est le signe d’un état archaïque de la langue.

    On retiendra donc :

    - un monument qui allie la pierre et l’écriture, ce qui peut connoter la civilisation, le travail de l’homme, mais aussi le désir de perdurer, de laisser des traces

    - un titre qui annonce une forme poétique inédite

    - une forme érigée, un espace clos d’où la brièveté des poèmes et leur disposition en colonnes

    La préface suit le mouvement suivant :

    1- la description de la stèle (on reconnaîtra la précision de l’archéologue qu’était Segalen)

    2- l’historique des fonctions de la stèle :

  • - ornement funéraire

    - poteau sacrificatoire

    - mesure du temps (la stèle comme " cadran solaire ")

  • 3- la beauté et l’efficacité de l’inscription

    4- l’orientation des stèles : les stèles sont orientées en Chine selon leurs fonctions, on distingue donc :

  • les stèles du Midi : avis, édit, lois promulgués par l’Empereur

    les stèles du Nord : signes de l’amitié, de l’amour

    les stèles de l’Ouest : la guerre et les actes héroïques

    les stèles du Bord du chemin : stèles de la marche, du voyage, stèles ouvertes à tous, sortes de bornes, de repères dans l’espace

    les stèles du Milieu : lieu par excellence. Segalen ne le précise pas, mais ces stèles se situent au carrefour des points cardinaux, mais aussi du Ciel et de la Terre, ce sont donc des stèles privilégiées.

  • La préface se justifie d’une part parce qu’elle justifie le titre, d’autre part parce qu’elle fait pénétrer le lecteur dans un monde qui lui est généralement inconnu, celui de la Chine impériale.

    Paul Claudel, poète, longtemps diplomate en Chine et ami de Segalen, c’est presque naturellement que Stèles paraît lui être dédiée. Dans Connaissance de l’Est, Claudel avait choisi la Chine comme inspiratrice d’un long recueil de poèmes en prose. En reconnaissant sa dette envers Claudel, Segalen revendique donc dans une filiation poétique. Mais la dédicace n’est pas seulement un hommage, elle permet aussi à l’auteur de s’inscrire dans le sillage des plus grands. D’une certaine manière, l’écriture poétique est ainsi le témoignage d’une lecture (en l’occurrence celle de Claudel).

    Là ou les deux poètes se rejoignent c’est principalement dans leur refus du pittoresque : il ne s’agit pas dans les deux cas d’offrir au lecteur occidental une description des mœurs et des paysages chinois. Cela étant, la poésie de Segalen est aux antipodes des principes poétiques de Claudel, pour qui le voyage et la poésie sont l’objet d’une révélation, d’un " oracle ". Segalen reprochera toujours à Claudel de ne pas s’être immergé dans le monde chinois, de ne pas avoir changé au contact de la Chine.

    Leurs poétiques sont radicalement différentes, voire opposées. Pour Claudel il s’agit de contempler le monde et d’en déchiffrer les signes, de lire ce que Dieu à travers sa création dit à l’homme. Si Claudel admire le monde c’est parce qu’il est à l’image du divin. Pour Segalen qui abhorre le christianisme, il s’agit d’aborder le monde par les Sens, de reconnaître la Diversité en toute chose, de reconnaître la singularité de chacun et non de reconnaître en tout un reflet du divin.

    1.  
    2. Relevez les grands ensembles du recueil. Relevez le nombre de poèmes contenu dans chaque ensemble. Que remarquez-vous ?

       

    3. Quelles sont les connotations des titres des grands ensembles ? Quelle culture évoquent-ils ?

       

    4. Relevez un thème présent dans chaque ensemble.

     

    Stèles est constitué de six ensembles : " Stèles face au Midi " (15 poèmes), " Stèles face au Nord " (8 poèmes), " Stèles orientées " (12 poèmes), " Stèles occidentées " (7 poèmes), " Stèles du bord du chemin " (9 poèmes) et enfin " Stèles du milieu " (13 poèmes).

    Il s’agit d’ensembles irréguliers, le premier et le dernier comportant plus de poèmes que les autres, on serait donc tenté de leur accorder une importance supplémentaire. En particulier pour les " Stèles du milieu " : point symbolique et privilégié de la culture chinoise, et de l’architecture du recueil.

    Tous les titres des ensembles convoquent la cosmologie chinoise, chacun des chapitres donne lieu à un groupement de poèmes placés sous le signe des différents points cardinaux. Si on se réfère aux indications de la préface, on remarquera que les ensembles sont hiérarchisés au sein du recueil ; c’est donc tout naturellement que l’œuvre s’achève par les " stèles du Milieu ".

    Normalement, les élèves du groupe 2 devraient corroborer ou infirmer ce que les élèves du groupe 1 ont découvert dans la préface sur le sens des point cardinaux.

    " Stèles face au Midi " : cette première partie est dominée par la figure de l’Empereur : à la fois incarnation du pouvoir, mais aussi médiateur entre le Ciel et le peuple. Mais, si le Midi est bien le point cardinal du pouvoir, Segalen ne se contente pas de rester fidèle à ce principe, en effet, plusieurs poèmes de cette section semblent échapper au sens symbolique chinois du Midi, c’est par exemple le cas pour " Les trois hymnes primitifs " ou " Ordre de Marche ".

    " Stèles face au Nord " : cette section recouvre une unité thématique étonnante et rigoureuse ; tous les poèmes se référent à l’amitié ou à l’amitié trahie : " Empreinte ", " Jade faux ", " Trahison fidèle ". Enfin " Sans méprise ", mêle l’amour et l’amitié. Cette section se singularise par son lyrisme, l’abondante présence du " Je " et la brièveté des pièces.

    " Stèles orientées " : comme la section précédente, cet ensemble présente une grande cohérence thématique, tous les poèmes évoquent l’amour. Celui-ci se laisse deviner dès la lecture de certains titres : " Pour lui complaire ", " Visage dans les yeux ", " Mon amante a les vertus de l’eau ", " Stèle au désir ". Comme les stèles du " Nord ", les " stèles orientées ", comportent un petit nombre de poèmes, ce sont également des stèles brèves. Aucune ne comporte un nom de femmes, les nombreux " tu " ou " elle ", composent l’image d’une femme qui a le visage de la diversité.

    " Stèles occidentées " : une fois de plus Segalen se trouve fidèle à la culture chinoise. Toutes les stèles de cette partie ont pour thème la guerre. Loin d’être un hymne à l’héroïsme, ces pièce recèlent des images violentes, véritables hypotyposes de la cruauté comme par exemple dans " Libation mongole ".

    " Stèles du bord du chemin " : contrairement aux sections précédentes, ce groupement apparaît hétérogène, mais cette hétérogénéité est conforme à la tradition chinoise, puisque les stèles du bord du chemin balisaient les étapes de marcheur sans obéir à une thématique ou à une visée précise. Cependant plusieurs des stèles de cette section renvoient à la figure du marcheur : " Conseils au bon voyageur " (premier poème), " Stèle du chemin de l’âme " (ultime stèle de cette partie).

    " Stèles du milieu " : plus encore que la première section qui nous semblait jusqu’ici la plus diverse, cet ultime mouvement n’offre pas une thématique que l’on puisse immédiatement dégager. Cette dernière partie incarne l’esthétique de Segalen qui recherche et exalte la Diversité. Ces dernières stèles sont plus méditatives que les autres, le " Milieu " est le lieu d’une métamorphose, d’un passage spirituel.

    1.  
    2. Quel rapprochement pouvez-vous établir entre le titre du recueil et la disposition typographique des poèmes.

       

    3. En observant les titres des poèmes, que remarquez-vous quant à leur composition (longueur, construction syntaxique) ? Peut-on parler d’une homogénéité dans les titres ? Justifiez.

       

    4. Quelle est la forme poétique utilisée dans le recueil ? Pourquoi ce choix ?

    Des trois parcours de cette première séance ce dernier est le plus simple.

    En montrant aux élèves un fac-similé de l’édition originale (4) de Stèles, on s’apercevra des préoccupations picturales de Segalen, rappelons qu’il est également l’auteur d’une œuvre nommée Peintures. Le titre du recueil et la typographie des poèmes se redoublent ; tous les poèmes du recueil sont des stèles. Ils se présentent généralement sur une colonne, parfois deux mais jamais trois, ce qui aurait été un non-sens au regard de la composition des stèles chinoises. Le choix de la stèle comme figure iconique du poème impose donc à Segalen des choix formels : la brièveté et la prose.

    L’image dans le recueil c’est évidemment et surtout les idéogrammes chinois. Incompréhensibles pour le lecteur français, les idéogrammes n’apparaissent plus comme une écriture. Vides de sens, ils deviennent pour les lecteur des signes graphiques, des peintures, images même de la stèle. Comme une stèle mise en abîme. C’est évidemment une des originalités de Segalen que d’avoir intégré au cœur même de sa poésie, une autre langue. Ce n’est pas seulement un signe d’exotisme, c’est aussi en accord avec la quête esthétique et éthique du poète qui recherche la Diversité. Aller à la rencontre de l’Autre, de sa civilisation, c’est donc aussi aller à la rencontre de sa langue.

    Tous les poèmes sont titrés et la plus part sont très brefs (ce qui n’est pas un trait d’originalité pour un titre !).

    On peut tenter d’établir certains regroupements :

    - les poèmes qui portent en eux une indication générique : tous les titres où le mot " stèle " apparaît, les titres où l’on repère les mots " éloges " ou les mots " hymnes ".

    - les poèmes qui suggèrent un rapport au sacré ou à la spiritualité : " Religion lumineuse " , " Vision pieuse ", " Table de sagesse "

    - les titres qui se référent au monde chinois : " Les gens de Mani ", " Jade faux ", " Les cinq relations ", " Libation mongole ", " Hymne au dragon couché "…

    - certains titres évoquent le mouvement, le voyage : " Départ ", " Des lointains ", " Conseils au bon voyageur "

    On pourrait poursuivre des classifications plus ou moins rigoureuses. Il importe en tout cas d’observer que les titres les plus fréquents sont ceux qui évoquent le monde chinois et ceux qui comportent le mot " stèle ". La difficulté à classer tous les poèmes par leurs titres, témoigne une fois de plus de l’apparente diversité de la poétique de Segalen. Il y a chez lui une conception de la poésie qui est celle d’une poétique nomade, une poétique ouverte, qui refuse de se figer, de se cantonner à tel ou tel thème ou à telle ou telle pensée.

    Il s’agit bien entendu de la forme poétique en prose, malgré tout, ces paragraphes se rapprochent davantage du verset de Claudel ou de Saint-John-Perse plutôt que des formes compactes des Petits poëmes en prose de Baudelaire.

    Le verset permet de grandes libertés dans les scansions rythmiques, il insuffle une dynamique à la phrase. Ce choix est sans aucun doute lié à l’influence de Claudel sur Segalen, mais le verset, typographiquement se prête aussi parfaitement à la forme de la stèle. Le verset permet de jouer sur la disposition du poème, comme il permet de combiner les signes des ponctuation : virgule, point virgule, tiret. L’usage singulier du verset de Segalen, constitue une des originalités de Stèles, car il n’est pas calqué sur le verset claudelien qui obéissait à des coupes régulières en décasyllabes ou alexandrins.

     

    Synthèse de la séance 

    Au terme de ce parcours entre la macro et la micro structure de Stèles, certains traits de ce recueil et de la figure du poète ont été mis en évidence :

    - un recueil qui tout en s’inscrivant dans une filiation (celle de Claudel), opte pour une forme unique, très personnelle

    - un recueil qui suggère le parallélisme entre la pierre et la poésie

    - une poétique de la Diversité (par l’organisation en chapitres, par la variété de ses titres, par la richesse des thèmes, par son usage particulier du verset)

     

    Séance 2 : Les visages du " Je " (étude de la langue : analyse de l’énonciation)

    S’il est nécessaire de consacrer une séance à l’énonciation, c’est parce qu’elle est problématique Dans de nombreux poèmes le lecteur peut se demander : qui parle ? où est la voix du poète ?

    Un parcours rapide des " Stèles face au midi " fait apparaître la figure dominante de l’Empereur, en apparente position de locuteur : " En l’honneur d’un sage solitaire ", " Hommage à la raison ", " Edit funéraire ". Cette énonciation se présente souvent sous la forme : " Moi l’Empereur […] ", attestant de la solennité de la prise de parole. On peut penser que ce " Moi " n’est pas un discours pris en charge par l’Empereur, mais par celui qui écrit pour lui. Toute parole de l’Empereur est déléguée, reprise par un autre. Ce n’est pas l’Empereur qui parle, son discours est énoncé au style indirect comme s’il était rapporté par un scribe témoin, historiographe du royaume, comme dans les stèles : " Sur un hôte douteux ", " Nominations ".

    Quelle figure du poète se donne à lire ici ? Le poète avance masqué, peut-être pour se dégager de tout lyrisme. Il cherche à se faire le témoin du monde et non son interprète, il n’est pas déchiffreur de signes. Dans les " Stèles face au Midi ", seuls deux poèmes semblent pris en charge par le poète : " Nominations ", mais surtout " Sans marque de Règne " dans lequel Segalen paraît parler en son nom propre et revendiquer cette posture du scribe. En affichant sa posture énonciative comme celui qui écrit à la place d’un autre, Segalen reconstitue en lui les attitudes et les intentions de l’Empereur. Il cherche donc à offrir à son lecteur quelque chose qui ne porte plus trace de son identité, il écrit dans l’oubli de soi-même. Cette volonté de retrait permet au poète de ne pas succomber à la tentation d’écrire comme celui qui découvrirait un monde nouveau, comme un touriste en mal d’exotisme.

    Ce que nous venons d’ébaucher rapidement pour les " stèles face au Midi " est à prolonger sur d’autres ensembles. On pourra montrer aux élèves que dans les autres sections demeurent souvent cette indécision, ce flottement énonciatif qui participe d’un mode plurivocallique et qui, comme la thématique du recueil, participe d’une poétique du Divers.

     

    Séance 3 : Lecture de " Stèle provisoire "

    Axes de lecture :

  • - le titre

    - l’organisation du poème

    - l’usage du verset

    - l’énonciation

    - les métaphores

  • Cette lecture devra montrer que ce poème échappe pour une part aux " principes " de l’ensemble du recueil. Dans " Stèle provisoire " le monde chinois y est pratiquement absent, hormis dans le mot " calligraphe ", d’autre part le poème est ici empreint d’une forte tonalité lyrique dans laquelle se laisse entendre un souvenir amoureux.

     

    Séance 4 : Etude lexicale : Quel lexique Segalen utilise-t-il pour évoquer le monde de la Chine ?

    Nous avions montré dans un précédent article (5) que l’entrée par le lexique était nécessaire pour rendre compte de la spécificité d’une œuvre poétique. Nous proposons donc ici quelques pistes pour l’analyse du lexique de Stèles.

    Cette séance peut débuter ou être préparée en divisant la classe en six groupes (pour les six parties du recueil) avec pour consigne de recenser tout le lexique qui suggère la Chine. Pour ne pas se contenter d’un unique relevé, on peut exiger que les élèves classent le lexique trouvé (noms propres, objets, nature, civilisation…), selon des critères qu’ils devront eux-mêmes définir.

    On devrait pouvoir faire apparaître certains traits singuliers du lexique du recueil, en particulier la paradoxale rareté du vocabulaire évoquant la Chine. Même si Segalen ne peut se passer de certains lieux communs du monde chinois comme les mots " jade ", " licorne ", " dragon ", " tablette funéraire ", on remarquera que le nombre de ces mots est très restreint. De plus contrairement à d’autres auteurs qui se plaisent à user de mots de la langue chinoise, Segalen (alors qu’il connaît assez bien le chinois) n’utilise qu’un seul vocable dans sa langue originale : " koumys " qui désigne une boisson fermentée fabriquée à partir du lait.

    Où trouve-t-on alors la Chine ? Principalement dans deux classes lexicales : les noms propres et les notions philosophiques. En effet les noms propres chinois abondent : beaucoup de noms de dynasties et quelques rares noms de lieux : " Sa-than " et " Chenn ". Les dynasties abordées dans leur généalogie, par des expressions comme " Fils de ", inscrivent les poèmes dans une durée, dans une Histoire. Quant aux notions philosophiques elles sont identifiables par les majuscules : " le Milieu ", " le Grand-Vide ", " les Quadruples Points du Ciel ". L’usage du nom propre donne à ces mots une solennité. Tous ces termes nous font partagés les conceptions chinoises du monde, ils créent une atmosphère, une sensibilité qui invitent le lecteur à les partager. Ce vocabulaire de la civilisation chinoise concerne principalement le domaine de la cosmologie et celui de la religion.

    L’usage du lexique du monde chinois fait de Stèles, un recueil entouré de mystère, de sacralité et demande au lecteur un effort pour interpréter ces signes. Le souci de Segalen est de s’écarter de tout exotisme superficiel et colonialiste. Au-delà de la terre chinoise, c’est l’âme du peuple qu’il cherche à pénétrer.

     

    Séance 5 : Lecture de " Conseils au bon voyageur "

    Cette lecture, doit pouvoir servir de synthèse à l’étude du recueil. A travers l’analyse détaillée de cette stèle, on devra montrer que le principe qui régit Stèles est celui de l’éloge de la Diversité.

    On pourra mettre en évidences certaines caractéristiques du poème :

    1.  
    2. Une construction ternaire : la succession des substantifs " Ville " / Montagne, puis celle des verbes à l’impératif" Repose " et " Garde " et enfin la succession des adverbes " Ainsi ", " Mais ".

       

    3. Deux mondes, celui de la Nature et celui de l’Homme, qui, loin de s’opposer, sont tous deux sources d’expérience pour le voyageur.

       

    4. Le voyage ne se réduit pas un parcours de l’espace, il est aussi une quête spirituelle, un voyage vers soi.

    L’esthétique de Segalen est une éthique qui se joue dans la jouissance de toute expérience, sans en refuser aucune.

     

    Séance 6 : Evaluation. Type sujet du Bac

    1.  
    2. Soit la comparaison de deux poèmes en prose

       

    3. Soit un sujet (avec des textes argumentatifs) qui porte sur le voyage et dont la problématique pourrait être : " Le voyage : découverte de l’Autre ou découverte de Soi ? "

     

    La poésie de Segalen est aussi une éthique, elle est découverte et reconnaissance de l’autre dans son absolue différence. L’autre n’est pas un autre moi-même quelqu’un dont je pourrais m’accaparer les idées, la culture, la terre, quelqu’un auquel je pourrai me comparer; non l’Autre est l’absolument autre, son existence est radical questionnement, appel. Aller vers l’Autre pour se découvrir soi-même.

    On voit que cette lecture d’une œuvre intégrale aura privilégié des va et vient entre macro et micro structure de l’œuvre et des analyses globales cherchant à dégager les traits constitutifs de l’unité du recueil. Elle aura également permis aux élèves de se confronter avec une esthétique parfois difficile d’abord mais riche de sa singularité.

    Sans doute cette lecture s’est-elle construite au détriment de lectures précises d’extraits ; ce type de séquence nécessite donc au préalable l’étude d’un groupement de textes de poèmes en prose dont l’objectif méthodologique sera de donner aux élèves des outils précis pour l’analyse du poème.

    Plus que l’acquisition de notions nécessaires à une étude précise des textes, cette séquence aura apporté aux élèves des outils pour rendre compte de la cohérence et de la singularité d’une œuvre.

     

    Eric HOPPENOT


    Notes

    (1) Une édition abordable de cette œuvre existe en Poésie / Gallimard. Mais elle présente un inconvénient majeur, celui d’avoir effacé la marque des stèles. En effet, dans l’édition originale de Stèles, tous les poèmes sont encadrés, mimant et redoublant ainsi la figure de la stèle.

    Toutes les références que nous donnons sont extraites de l’indispensable édition de Henry Bouillier, publié au Mercure de France en 1982. Bouillier y restitue chacune des " stèles " dans son contexte d’écriture, traduit et donne les sources des idéogrammes chinois.

    On se reportera également à l’édition des Œuvres Complètes de Segalen en deux volumes, établies par Henry Bouillier et publiées chez Robert Laffont, collection Bouquins. Le second volume regroupe tous les écrits de Chine de Segalen, hormis sa correspondance.

    (2) On trouve ses cartes dans l’édition de Bouillier

    (3) Avant l’étude de Stèles, peut-être serait il souhaitable de donner aux élèves quelques poèmes de Connaissance de l’Est, par exemple : " Tombes. – Rumeurs ", " La Pluie ", " Le Promeneur ". On peut les aborder soit sous la forme d’un groupement de textes à étudier, soit comme simple lecture.

    (4) Une photo de celle-ci est visible sur un des très rare site Internet (un mini-site !) consacré à Segalen.

    (5) Voir " En cueillant le mimosa de Francis Ponge ", Interlignes n° ? ? ? ? ?


    Lectures complémentaires :

    Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie Gallimard

    Victor Segalen, Essais sur l’exotisme, Biblio Poche, 1986

    Victor P. Bol, Lectures de Stèles de Victor Segalen, Paris, Minard, 1972

    Abdelkebir Khatibi, Figures de l’Étranger dans la littérature française, Paris, Denoël, 1987

    Tzetan Todorov, Nous et les autres, Paris, Le Seuil, 1989

    Revue Europe, Victor Segalen, n° 696, avril 1987

     

    Axes de lecture :

    Lecture de la préface

    Organisation du recueil

    Poésie et images

    Analyse de l’énonciation, les identités du " Je "

    Un exemple d’analyse lexicale, " la pierre " dans Stèles

    Lecture méthodique de deux poèmes

     

    Lectures complémentaires

    La Chine :

    Paul Claudel, Connaissance de l’Est

    Henri Michaux, Un barbare en Asie, Idéogrammes en Chine

     

    La pierre objet poétique :

    F. Ponge, " L’ardoise "

    Roger Caillois, Pierres écrites

    Yves Bonnefoy, " Pierre écrite " in Poèmes

    Guillevic, " Carnac "

     

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