Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord, — parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. — S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? faites mieux votre ronde (1). Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries (2) ?

Pas de bourreau où le geôlier (3) suffit.

Mais, reprend-on, — il faut que la société se venge, que la société punisse. — Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.

La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied (4). Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes (5), nous la comprenons et nous y adhérons.

Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. — Il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! — Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets (6) de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier (7) le peuple, il le démoralise et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint-Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le mardi gras vous rit au nez.

 

Victor Hugo (1802 – 1885), extrait de la préface de Le dernier jour d’un condamné, 15 mars 1832

 

(1) Surveillance

(2) Zoo

(3) Gardien de prison

(4) Convient

(5) Spécialistes scientifiques du crime

(6) Tribunaux

(7) Instruire

 

Compétences de lecture

 

1- A quel type ce texte appartient –il ? (1 point)

2- Victor Hugo énonce deux thèses dans cet extrait. Quelle est celle qu’il défend et avec laquelle n’est-il pas d’accord ? (2 points)

3- Pour défendre son point de vue, Victor Hugo développe trois arguments. Reformulez-les. (6 points)

4- Relevez les indices qui révèlent la présence de l’émetteur. Qui représentent-ils ? (2 points)

5- Dans le dernier paragraphe, Victor Hugo constate qu’une exécution n’a pas l’effet attendu. Quel devrait être cet effet et comment, selon lui, le public réagit-il en fait ? (4 points)

 

Compétences d’écriture

 

Vous venez d’assister à une exécution publique. Vous rapportez dans votre journal intime, en au moins 10 lignes, l’événement et les émotions que vous avez ressenties. (5 points)